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Le réalisateur de Mauprat, Jacques Trébouta, dit Jacques Weber est avant tout un musicien extraordinaire. |
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Préférant l'éblouissement des lumières du plateau aux salles d'étude ternes de l'école secondaire, il s'était présenté un jour à un cours d'art dramatique. Le professeur François Florent, découvrit en lui l'élève merveilleusement doué que chaque directeur de cours rêve d'avoir dans sa classe. Jacques Weber n'avait que seize ans. Avant même d'avoir fait ses premières gammes, son physique puissant qui démentait son âge et lui ouvrait déjà les portes de la respiration et du phrasé d'un texte, étonnait son entourage. Le Centre d'Art Dramatique de la rue Blanche aiguisa ses dons précieux, le Conservatoire acheva de le polir. Privilège rare. il en sortit en juin dernier avec un Prix d'Excellence à l'unanimité du jury.
Six ans avaient suffi à l'élève Weber pour devenir le comédien Jacques Weber. A vingt-deux ans, en effet, il connaît une réussite totale consacrée par son engagement dans la maison de la culture de Reims dirigée par Robert Hossein où il vient de triompher dans un rôle immense : Raskolnikof de Crime et châtiment. Aujourd'hui, !a télévision nous le fait découvrir dans Mauprat, de George Sand.
— J'ai tourné cette dramatique alors que j'étais au Conservatoire. Mon expérience professionnelle n'était pas encore très considérable, sur le plan de la quantité, l'entends ! Je n'avais joué véritablement au théâtre que dans Tchao, avec Pierre Brasseur, et à la TV dans Tartuffe où je tenais le rôle de Damis aux côtés de Michel Bouquet et Delphine Seyrig
» Le rôle de Bernard Mauprat est la préfiguration du héros romantique, mais ce n'est qu'un aspect de ce drame car George Sand a profité de son roman pour en faire un fourre-tout de toutes ses opinions politiques et sociales. Le côté assez flou et brouillon de ce second aspect explique sans doute le peu de succès du roman à l'époque.
Bernard Mauprat est follement épris d'Edmee Mauprat, sa cousine, mais celle-ci ne répond pas à sa passion avec la même spontanéité. A ses yeux, l'amour est un sentiment qui se mérite et surtout Bernard doit tenter d'accéder aux idées nouvelles, chères a Georges Sand, pour devenir un homme accompli.
Mauprat aurait pu fort bien lui coûter le concours de sortie du Conservatoire !
— Pris par le tournage, j'affirmais ne pas avoir le temps de préparer mon concours. Beaucoup d'amis ont fait alors pression sur moi pour m'encourager à travailler mes trois scènes. Disposant d'un délai très bref, j'ai choisi ces dernières non pas en fonction d'un emploi donné de comédien, mais avec le souci de montrer une grande étendue de registre. Jamais je n'ai voulu jouer devant le jury des scènes à effet et à aucun moment je n'ai eu le sentiment de participer à une compétition. Cet état d'esprit a été le meilleur de mes atouts,
— Quand on sort du Conservatoire, il est d'usage de le critiquer...
— Le Conservatoire étant la première école de France, il devrait être mille fois supérieur à ce qu'il est. Lorsqu'on en sort, comme j'en suis sorti, on ne peut pas nier que les palmes favorisent le début d'une carrière. 90 % des grands comédiens sortent de cette maison avec un prix ou non. Prix d'excellence ne veut pas dire meilleur comédien de l'année 71. J'aurais pu avoir la fièvre ou la voix cassé... Cela signifie simplement que pendant les trois jours du concours quelqu'un a été à tous les niveaux plus en forme que ses camarades...
Fausse modestie ? Boutade... Une grande assurance plutôt, une grande fermeté aussi, comme celle avec laquelle il a refusé rengagement que lui proposait Pierre Dux à ta Comédie-Française...
— Mes parents adoraient la Comédie-Française et j'y allais souvent. Quoi de plus féerique pour un enfant que ce monde merveilleux de beaux costumes, de belles voix, de belles dictions ! Or, j'ai beaucoup évolué. Je me suis aperçu que ce théâtre ne présentait pas de débouchés à mes aspirations. Je me suis rendu compte qu'il était possible de prendre un autre chemin.
— Et ce chemin, ce fut Robert Hossein ?
— Oui, mais j'ai refusé la Comédie-Française en ne sachant pas encore que Hossein voulait m'engager pour sa Maison de la Culture de Reims. Avec Hussein, j'ai voulu courir une aventure fantastique. Les risques étaient énormes : on n'avait jamais vu dans ce métier une vedette de cinéma débarquer dans un théâtre populaire et le public de Reims était un public à conquérir.
— Comment expliques-tu ce brusque changement dans la carrière de Robert Hossein ?
— Hossein est un homme qui retourne sa veste, voilà tout ! Soudain il est lassé d'un vedettariat stérile qui, à ses yeux, engendre une vie totalement vide. L'immense succès de la maison de la culture de Reims est son œuvre, mais avant d'être une réussite populaire c'est une réussite humaine merveilleuse. Le Robert Hossein taciturne et un peu bourru de l'écran cache sous cette armure un homme fragile et timide. Je n'ai jamais rencontré un animateur aussi passionné, à tel point que ses enthousiasmes sont parfois ceux d'un enfant qui dépasse la mesure : c'est l'atout majeur de son talent.
— Tu viens de jouer Raskolnikof; n'est-ce peu un peu grisant à 22 ans ?
— C'est un euphémisme... Chance exceptionnelle dans ce métier, Je viens de jouer là mon premier grand rôle sans en avoir connu de petits auparavant. C'est une joie immense et bouleversante que d'être confronté tous les soirs devant 1000 personnes avec le rôle principal qui est attendu à cause de sa puissance et de sa célébrité dans le monde entier. Il y a une tension nerveuse et intellectuelle qu'il est prodigieux de "faire passer". Je mange peut-être mon pain blanc le premier... mais l'instant vécu est inoubliable !
Une réussite aussi soudaine et totale aurait pu lui tourner la tête... mais non il parle calmement, sans forfanterie aucune.
— Il faut savoir garder les pieds sur terre ! Il ne faut surtout pas accorder d'importance à la critique lorsqu'elle vous comble de louanges. Si l'on ne mène qu'une vie de représentation, on est profondément malheureux.
» II ne faut point non plus affirmer que l'on exerce le plus beau métier du monde. Au lieu de se donner une importance illusoire, il est préférable d'exercer ce métier comme un art et non comme un commerce. Sinon on devient de pâles hypocrites vendus sur le marché. Si l'on ne me proposait que des choses vulgaires et mercantiles, je préférerais attendre en faisant un métier manuel qui me passionne : pêcher en Bretagne par exemple ! Avant tout, je veux me respecter en respectant mon travail...
Propos recueillis par Michel LENGLINEY